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21 mai 2011 6 21 /05 /mai /2011 01:27

vu par un franc-maçon de Rite écossais ancien et accepté, chrétien unitarien


Le Suprême conseil de France, juridiction gardienne pour la France du Rite écossais ancien et accepté (REAA), rappelait à l’occasion du deuxième centenaire de notre Rite que par l’invocation « A la gloire du Grand Architecte de l’Univers », le maçon ne s’obligeait pas à honorer une entité divine personnalisée mais simplement à témoigner de l’admiration révérencieuse que lui inspirait le mystère de la Création à l’œuvre dans le monde. « En adhérant à la devise « ordo ab chao », poursuivait-il, le maçon de Rite écossais reconnaît l’existence d’un Principe d’Ordre à l’œuvre dans l’univers. Et la devise « Deus meumque jus » lui signale sa double nature : divine, relevant de l’Etre universel dont il procède – humaine, soumettant ses actes à la seule détermination de sa conscience d’homme libre."


J’ai le sentiment que tout est dit dans les trois propositions de ce passage.


la puissance de l'Être

 

L’admiration révérencieuse naît de l’intuition de la présence mystérieuse en nous et dans le monde manifesté d’une force de vie, de la puissance de l’Etre, qui nous fonde à la racine de notre être. La prise de conscience de cette réalité spirituelle constitue la Révélation première, universelle, Lumière intérieure enracinée au cœur de l’âme humaine, comme le rappelle l’évangile de Jean.


Mais l’esprit de l’homme est ainsi fait que les divergences apparaissent dès que nous tentons de conceptualiser la réalité mystérieuse que nous pressentons. Les doctrines métaphysiques ou les dogmes religieux sont en effet formulations de l’expérience qu’ont les hommes du sacré, au moyen de mots humains, trop humains, toujours relatifs et changeants. Paraphrasant Me Eckhart, nous pourrions dire que le Principe n’est Dieu que lorsque des hommes sont là pour le concevoir, utilisant alors des mots substitués pour évoquer son indicible réalité.


« Comprenons bien, nous dit un rituel maçonnique, que le Principe suprême que nous traduisons par ce symbole est ineffable et lui donner un nom (Dieu, Allah, Yahvé), c’est le rapetisser à la mesure humaine donc le profaner ».


Mais comprenons bien aussi qu’il ne s’agit pas là d’une condamnation des voies traditionnelles qui toutes tentent d’exprimer à leur manière le lien au Principe, sur la base de révélations historiques dont la franc-maçonnerie n’a pas à juger la pertinence. Le maçon Ecossais par contre les relativise car il sait que la représentation que nous nous faisons de la Présence immanente et transcendante est toujours inappropriée, ébauche infidèle, source d’idolâtrie pour qui ne comprend plus son lien de dépendance avec le Principe métaphysique qu’elle cherche à rendre sensible à l’homme.


Il nous faut dès lors rester au plus près de la formule symbolique et tenter d’en éprouver le sens premier, avant qu’il ne soit pollué par les représentations mentales ou les anthropomorphismes. C’est l’essence même de la spiritualité maçonnique. Car c’est bien une spiritualité non religieuse (au sens confessionnel du terme) qui nous réunit dans nos loges, l’intuition de l’Unité primordiale qui donne sens à la multiplicité, l’expérience craintive et confiante à la fois d’un Principe premier, source d’un Ordre mystérieux faisant du monde éclaté un Cosmos.

 

l'initiation maçonnique


Pour les artisans maçons du Moyen-âge, l’expression « Grand Architecte de l’Univers » manifestait avec les mots du métier l’ordre profond du monde créé. L’architecte trace les plans de l’édifice et surveille sa construction. Fénelon disait que celui qui élève un côté du bâtiment n’est qu’un maçon, mais celui qui a pensé tout l’édifice et en a les proportions dans la tête, celui-là est l’architecte. Ce symbole évoque donc l’unité du temple à construire, et l’harmonie qui s’étend de l’homme au cosmos. C’est un symbole universel, archétypal, présent dans de nombreuses aires de civilisations.


Il n’est nul besoin de partager les théories cycliques véhiculées par la pensée orientale pour constater, dans le monde moderne, une perte de conscience généralisée du lien avec le Principe et conséquemment la dissolution de la conscience de l’ordre traditionnel. Il nous revient donc d’en recueillir et cultiver les traces, disséminées dans le corpus symbolique des différentes traditions, comme dans l’enseignement des Sciences sacrées, et d’en assurer la transmission.

 

C’est l’objet même de l’initiation, le but qu’elle se propose. Ainsi, l’initiation maçonnique par la voie particulière d’une initiation de métier, est, comme toutes les voies ésotériques, dévoilement progressif de la manifestation du divin dans le Cosmos et découverte de l’Ordre sacré. Au-delà de la simple intelligence formelle des choses, elle constitue une interpellation spirituelle adressée à chacun de nous, afin de poursuivre par un travail personnel la transformation de notre être, et d’atteindre par la conformité à l’harmonie universelle, la réintégration dans notre état essentiel, celui mythique, de l’âge d’or, celui de l’Homme véritable.

 

une polarité en l'Homme


Mais l’homme, dans la quête de son être essentiel est constamment partagé entre deux sentiments antinomiques : celui d’une présence immanente de l’Etre et, dans le même temps le sentiment opposé d’une altérité, l’impression d’être étranger à sa propre essence. Ces deux intuitions fondamentales forment une polarité et une tension permanentes constitutives de la condition humaine.


Unité et séparation d’avec le Principe expriment la vérité profonde d’une réalité ontologique traduite au plan du symbolisme religieux par le mythe de la Création et de la Chute. Elles fondent à la fois l’autonomie de l’homme et sa liberté, et sa dépendance vis à vis de la Puissance d’être qui lui communique la vie. Le réel intègre dès lors, à la fois, la dimension du profane et du sacré. Profane lorsqu’il est vu en lui-même, indépendamment de son unité avec le Principe, sacré quand il est vécu comme épiphanie.


Tout être et toute chose sont ainsi sacrés et profanes tout à la fois, et peuvent devenir vecteurs d’un divin immanent. Mais ils renvoient au divin au-delà d’eux-mêmes, et l’infini que l’on veut y saisir s’échappe sans cesse, laissant l’homme perpétuellement blessé et son désir inassouvi.


Faudrait-il donc désespérer de pouvoir dépasser jamais ce déchirement qui nous interdit la plénitude du sacré ?


Non car l’Esprit peut saisir l’esprit humain pour le hisser au-delà de lui-même et par l’action créatrice de la foi surmonter sans les annihiler les contradictions inhérentes à notre condition. Mais qu’on ne se méprenne pas, la foi (ou confiance dans la Réalité ultime) est un phénomène universel, qui ne se réduit pas à la dimension religieuse. Il intègre en effet une dimension initiatique, qui loin de toute approche dogmatique, privilégie l’expérience de la Présence sacrée au sein du cosmos. L’initié, par une approche empirique, découvre alors dans la connaissance intérieure de lui-même et du monde le sens de la vie, perçoit qu’il est étincelle divine et s’ouvre à la Transcendance salvatrice.


La sacralisation du temps et de l’espace recrée au sein de la Loge, oasis spirituel au sein d’un monde sécularisé, un temps et un espace privilégiés où le maçon s’efforcera de retrouver la dimension de réconciliation de l’essence et de l’existence, dans l’Unité reconquise de son être. Car c’est bien d’une reconquête qu’il s’agit : au moyen de l‘ésotérisme spécifique à la Maçonnerie, et par la magie propre au symbolisme et à la démarche initiatique, la reconquête pour lui-même et le monde qui l’entoure, de cette dimension perdue du réel, qui seule permettra le dépassement de nos ambiguïtés et de nos contradictions.

 

quadro_reaa_grande.jpg

 

en lien avec ma foi chrétienne


Toute conclusion sur le thème du Grand Architecte de l’Univers ne peut être que provisoire et personnelle. Elle doit me permettre par contre de faire le lien entre la démarche initiatique et la foi chrétienne à laquelle j’adhère.


La voie initiatique est ainsi pour moi le complément indispensable de mon attachement à la voie de la Révélation biblique : la fidélité maintenue du Rite écossais au corpus symbolique judéo-chrétien, même s’il ne s’agit plus aujourd’hui que d’une référence culturelle, permet en effet un enrichissement spirituel prenant appui sur cette forme traditionnelle, tout en préservant l’accès à l’Universel. Aucun croyant, dans cette évolution, ne doit craindre une perte de substance, elle offre en effet le moyen providentiel de renouer avec l’Alliance noachique et la révélation première. Dieu n’abroge aucune de ses alliances, et la Vérité est une, au-delà des formes.


Car le symbole du Grand Architecte de l’Univers m’unit par delà les confessions de foi à tous les croyants. J’entends par croyants, non pas ceux qui adhérent à une religion positive ni même ceux qui font profession de croire en Dieu, mais ceux d’entre les hommes qui sont à l’écoute de la Transcendance, quel que soit le nom qu’ils lui donnent, et même s’ils ne souhaitent pas la nommer. Ceux là sont en quête de la Tradition, du Sacré, du Divin.


Ils sont des cherchants, car si le Divin se dérobe toujours, c’est la vie même que le chercher, jusqu’à ce que l’Orient éternel nous ouvre la Connaissance du mystère de l’Etre.


Yves Lecornec

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commentaires

J
<br /> Merci Yves pour cette réponse argumentée à partir de Tillich, qui est un grand auteur. J'avoue pour ma part ne pas être adepte de l'ontologie. Chaque espèce animale (et l'être humain en est une) a<br /> des possibilités du fait de sa naissance, amplifiées ou diminuées du fait de son éducation, qu'il actualise plus ou moins selon les occasions et l'environnement, etc. Le bilan de chaque vie est<br /> bien entendu plus ou moins mitigé ; on meurt "l'âme en paix" lorsque ce bilan est plutôt positif ! On a des remords d'avoir fait ceci ou cela. Ainsi va la vie.<br /> <br /> <br />
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J
<br /> Réponse de l'auteur au commentaire n° 3 de Jean-Claude Barbier -<br /> Je pense, Jean-Claude, que l’hypothèse que tu émets sur l’origine du sentiment d’altérité est incomplète et qu’elle occulte un pan de la réalité. Le sentiment d’altérité est en effet lié pour moi<br /> au sentiment de notre finitude.<br /> <br /> Le mythe de la Chute et du péché originel doivent être pris pour ce qu'ils sont, des mythes dont la fonction n'est pas de relater un évènement historique mais de proposer une explication du monde.<br /> Il y a de belles pages de Tillich sur la notion de faute originelle et sur l'aliénation ontologique. Adam représente l'homme essentiel. Sa chute est le symbole du passage de l'essence à<br /> l'existence. Il s'ensuit que l'acte individuel de péché actualise le fait universel de l'aliénation. L'union avec Dieu, avec notre être essentiel doit être réinstaurée.<br /> <br /> Bien que Tillich estime que la notion de péché originel ne soit plus utilisable pour nous, il tient fermement à son contenu, et ses développements, personnellement, m’ont convaincu !<br /> <br /> Avant tout acte pratique, le péché est un état ontologique. Il est l'état d'aliénation de l'homme par rapport à l'Etre, à Dieu. C'est pourquoi Tillich emploie toujours le mot péché au singulier et<br /> non au pluriel. Le péché ne décrit pas les défaillances morales de l'homme mais son état de séparation avec Dieu.<br /> <br /> Il écrit ainsi sur les notions de "péché originel" et de "péché héréditaire" : "ce qu'elles expriment, c'est le caractère universel de l'aliénation en montrant qu'il y a un élément de destinée en<br /> celle-ci.... L'état d'existence est l'état d'aliénation. L'homme est aliéné d'avec le fondement de son être, d'avec les autres êtres et d'avec lui-même. Le passage de l'essence à l'existence<br /> aboutit à la culpabilité personnelle et à la tragédie universelle".<br /> <br /> Ou encore : "la création et la chute coïncident dans la mesure où il n'y a dans le temps et dans l'espace aucun point où la bonté créée aurait été actualisée et aurait eu l'existence. C'est une<br /> conséquence nécessaire du rejet de l'interprétation littérale de l'histoire du paradis. Il n'y a eu aucune "utopie" dans le passé, comme il n'y aura aucune utopie dans le futur. La création<br /> actualisée et l'existence aliénée sont identiques".<br /> <br /> Je pense personnellement que notre être est enraciné dans la réalité Divine, mais pourtant séparé d'elle par un abîme qui peut sembler infranchissable. Bien qu’ils mettent l’accent sur le sentiment<br /> de la Transcendance et de l’Altérité divines (cette déchirure qui ne peut être guérie que par la grâce), des docteurs et théologiens parmi les plus orthodoxes des religions Abrahamiques n’ignorent<br /> pas eux-mêmes la réalité d’une connaissance intuitive de la source de l’être et de l’immanence divine. Cette intuition de la présence de l’Infini dans la manifestation (que l’ésotérisme Musulman<br /> appelle l’œil du cœur) nous fonde à la racine de notre être. Paul dans les actes des apôtres nous rappelle qu’; « en lui, nous avons le mouvement, la vie, et l’être » et Augustin que « Dieu m’est<br /> plus intime que mon intimité même ». Mais si pour les ontologies Juives, Chrétiennes ou Islamiques, l’infini constitue le fondement du réel, il en est aussi l’Abîme, et la manifestation n’a<br /> d’existence que soutenue par la grâce habituelle qui la maintient dans l’être.<br /> <br /> Cette tension entre immanence et transcendance, entre connaissance et inconnaissance de la réalité divine est au cœur même de la problématique humaine. Elle est à l'origine de la quête éperdue de<br /> l'Etre et ne peut sans doute être résolue que dans la foi et l'espérance.<br /> <br /> Le Christ est pour moi le symbole de la réunion achevée de l'homme avec son essence divine (et non l’incarnation de la seconde personne de la Trinité !), ce que Tillich nomme l'Etre Nouveau.<br /> <br /> Alors cessons de croire au péché originel, oui, mais à condition de sauver ce que le mythe nous apprend de la condition humaine.<br /> <br /> Fraternellement Yves<br /> <br /> <br />
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J
<br /> à propos de la cotisation, l'auteur précise : "il y a une réserve (le “tronc hospitalier”) qui permet d’aider les frères qui ne pourraient pas s’acquitter des cotisations. L’entraide n’est pas un<br /> vain mot en maçonnerie."<br /> <br /> <br />
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J
<br /> La réponse de l'auteur à Fabien Issa (commentaire n°2) : "on peut bien entendu être maçon et, dans le même temps affirmer son identité chrétienne, musulmane, juive, bouddhiste etc. Tu vois, dans ma<br /> loge, coexistent des chrétiens (les 3 grandes confessions sont représentées avec un fort % de protestants), un juif pratiquant (qui vit à mi-temps à Jérusalem), un musulman (qui vient de nous<br /> quitter pour rejoindre la capitale), un frère très attiré par le bouddhisme (mais sans qu’il soit affilié à une organisation quelconque) et des agnostiques ouverts à la spiritualité. Lors des<br /> initiations, le profane peut prêter serment sur le Livre sacré de son choix (Bible, Coran, Védas etc.). Lors des tenues (réunions maçonniques), nous travaillons avec la Bible ouverte au prologue de<br /> l’évangile de Jean) mais ce livre (Volume de la Loi Sacrée) est là non pas pour faire référence à une voie particulière, mais comme symbole de la Tradition (et de toutes les traditions).<br /> Quant à la maçonnerie – club nanti – je ne vois pas trop ce que tu veux dire ? Si tu penses que n’y entrent que des personnes socialement “aisées” tu te trompes, même s’il est vrai que les<br /> professions dites “libérales” sont un peu sur-représentées. Il s’agit d’abord d’accueillir des personnes en quête de spiritualité... on ne demande pas pour cela le montant de leur compte en banque<br /> !!!! Et nous avons des frères de condition modeste, dont la capitation par exemple (environ 320 euros annuels) est prise en charge par la loge elle-même."<br /> <br /> <br />
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P
<br /> Toutes ces recherches ont un but final et essentiel qui n'est pas immédiatement perceptible consciemment chez l'Humain ;<br /> comment ne pas mourir ?<br /> comment vont se dérouler mes derniers instants de vie ?<br /> comment ne pas souffrir ?<br /> comment ne pas percevoir ma mort ?<br /> etc.<br /> L'Autre démarche à effectuer n'est-elle pas psychanalytique ?<br /> <br /> <br />
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  • : Eglise unitarienne francophone
  • : Le courant unitarien est né au XVI° siècle et a été la "benjamine" des Réformes protestantes. Il se caractérise par une approche libérale, non dogmatique, du christianisme en particulier et des religions en général. Les unitariens sont près d'un million dans le monde entier. En pays francophones (en Europe occidentale : la France et ses oays d'Outre-Mer, la Wallonie, la communauté francophone de Bruxelles, la Suisse romane, Monaco et Andorre ; au Canada : le Québec ; et en Afrique noire), il s'e
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