Régis P. (Le Mans) - En ce matin du dimanche 5 juillet 2009, je suis dans le train qui m’achemine de la gare de Connerré-Beillé (nord de la Sarthe) à Versailles où je vais retrouver ma petite mère qui approche de ses 90 ans et dont l’état de fatigue physique et mentale continue de croître depuis la dernière fois que je l’ai vue.
Le train régional traverse les collines boisées du Perche puis la plaine de Beauce. Le ciel est légèrement couvert ce matin ; il redeviendra lumineux cet après-midi. Les prairies fauchées commencent à jaunir, tandis que les blés achèvent de mûrir, dorés comme la miche de pain que j’ai coupée à mon petit déjeuner. Mais pourquoi sont-ils si courts ? Pourquoi ne sont-ils plus égayés par leurs indispensables compagnes, ces fleurs que l’on dit messicoles et commensales : bleuets et coquelicots terrassés par la chimie, cette chimie qui oblige les blés à rester nains, à mi-hauteur de leur taille naturelle. Les premières céréales commencent à être moissonnées.
Ce temps de méditation est l’occasion de me joindre au culte de l’Eglise unitarienne francophone.
Pour ce culte, la flamme que j’allume est celle qui, au fond de mon cœur, ne s’éteint jamais. Je prie en union avec ma mère, avec mon père décédé il y a huit ans, avec ma famille, avec mes frères et sœurs humains, ceux et celles qui m’entourent, une grand-mère et sa petite-fille, un étudiant, des passagers, celles et ceux qui montent ou descendent à chaque arrêt, avec la nature aussi.
Je relis les prières mondiales des unitariens que j’ai recopiées la veille : celle du mois de juillet, et celle du mois de mai qui est cet extraordinaire prologue du Livre du Tao.
Puis je récite le Cantique des créatures de François d’Assise, en me souvenant du concert d’oiseaux qui a salué le point du jour à mon premier éveil à 5 heures, du chant lancinant de la grive musicienne, pendant mon petit-déjeuner, perchée en haut du châtaignier mort à la fin de l’hiver, et les pigeons qui se chamaillent dans bois de chênes, de charmes, d’érables et de merisiers, le couple de pics verts, chapeau rouge et livrée kaki, venus picorer sur l’herbe avec un jeune pic-vert et accompagnés par un pic épeichette, M. Merle en habit noir qui siffle si joliment et sautille dans l’herbe, toujours accompagné à quelque distance par Mme Merlette, tandis que les humbles moineaux pépient à en perdre haleine. Je n’ai pas vu les écureuils roux qui sautent de branches en branche ; mais ils sont là, désormais cachés par le feuillage abondant, et la chatte des voisins, venue s’installer près de la nôtre, mais en gardant une distance respectueuse. Et les papillons, les abeilles et les bourdons qui tournent dans la lavande en train de se couvrir de fleurs d’un incroyable bleu de Chartres, qui tranche avec les roses voisines.
"Le Cantique au soleil" (= le Cantique des créatures) par Roger Bissière (1886-1964), peinture faite en 1954
Comment ne pas louer la Vie pour toute cette vie, même si Maman s’approche doucement et douloureusement du moment où elle franchira le seuil de la mort et rejoindra Papa. Je projette de pousser son fauteuil jusqu’à l’entrée du parc du château, le long des allées de tilleuls du boulevard de la Reine, le boulevard de mon enfance.
Je médite encore un moment, en lisant quelques pages de l’Evangile de Philippe : " Ceux qui disent qu’on va d’abord mourir et ressusciter ensuite se trompent (…). Si quelqu’un n’est pas d’abord ressuscité, il ne peut que mourir. S’il est déjà ressuscité, il est Vivant comme Dieu est vivant " (traduction Jean-Yves Leloup, éditions Albin Michel).
En union avec les unitariens, chrétiens ou non, croyants ou non.
ndlr - Entre l'automne 1225 et celui de 1226, dans les tout derniers mois de sa vie, François d'Assise composa son célèbre Cantique des créatures, dit aussi Cantique de frèresoleil. Sans instrument de musique, il improvisa ce chant, premier chef-d'oeuvre de la littérature italienne, qui fait maintenant partie du patrimoine spirituel de l'humanité. Nul n'a exprimé avec plus de tendresse cette extraordinaire proximité avec le soleil, la lune, la terre ou le vent, qualifiés de "frères" et "soeurs" par le poverello. Cet amour universel, pour le monde et les êtres transparaît aussi dans les passages légendaires des Fioretti, où l'on voit François parler en ami aux oiseaux et au loup.