par Jean-Claude Barbier, secrétaire général de l’Assemblée fraternelle des chrétiens unitariens (AFCU), article à la Une de la Correspondance unitarienne, n° 83, septembre 2008, note écrite le 27 juin 08
Peut-on parler aujourd’hui d’une théologie unitarienne alors que les croyances au sein de l’unitarisme contemporain sont les plus diverses. Qu’y a-t-il en commun entre une Eglise historique de l’unitarisme qui a conservé un credo datant des XVI-XVIIIème siècles, où Dieu est encore providentiel, et l’unitarisme-universalisme qui se veut une nouvelle religion englobant les non croyants ?
Au sein même de l’unitarisme-universalisme, les congrégations se doivent de gérer une hétérogénéité qui va des croyants aux athées en passant par les agnostiques. Les compromis sont de règle au nom de la tolérance et du respect d’autrui, mais cela revient à éviter de prononcer certains mots – comme par exemple celui de Dieu – où encore à diluer les rituels originaux dans une phraséologie et une gestuelle qui se veulent d’emblée universelle mais qui tombent dans la banalisation.
Y a-t-il finalement des théologies au pluriel, voire même, pour certains, une absence totale de théologie ?
Bien que l’épistémologie du mot théologie contient le nom grec pour désigner un dieu (theos), cette science est plus large puisqu’elle se présente comme une " étude des questions religieuses fondées principalement sur les textes sacrés, les dogmes et la tradition " (Petit Robert). Ajoutons que les monothéismes n’en ont pas le monopole puisque les religions coutumières, dites " païennes ", proposent elles aussi une méditation sur nos relations avec des divinités et autres êtres surnaturelles et ont des corpus religieux oraux tout à fait consistants, composés de mythes, de prières, de rituels, de pratiques, de croyances et de valeurs morales.
Il s’ensuit, en tenant ainsi compte de l’anthropologie, d’un élargissement considérable de la théologie qui se doit de déborder les confessions où elle était naguère confinée. Elle s’en trouve fortement relativisée et l’image d’un Dieu patriarcale, anthropomorphique, titulaire d’un peuple (pour les Juifs) ou assurant le salut d’une seule communauté de fidèles (christianisme, islam) n’est plus recevable.
Dans le camp d'en face, celui des athées, les connaissances scientifiques se heurtent au Big-bang initial et ne progressent guère au-delà. L’univers est de mieux en mieux connu, mais le mystère de son origine reste entier. Nous assistons à une convergence entre croyants qui ne se prononcent plus sur la nature de Dieu (est-ce une personne ? une énergie ? une présence " spirituelle " ?) et des athées qui reconnaissent une dimension échappant à notre seule raison, un au-delà du seul connu par la raison humaine. Les uns et les autres évitent le fanatisme, l’enfermement dans des certitudes qui ne sont nullement démontrées, la polémique vaine. Au sein de l’unitarisme contemporain, le consensus s’est fait sur le mystère de la Vie et la dimension spirituelle de celle-ci.
En cela, le discours sur le vocabulaire de révérence du président de l’Unitarian Universalist Association (UUA) of Congregation, le révérend William G. Sinkford, en mai 2003 *, marque la fin d’une emprise " humaniste " sur l’UUisme qui aurait conduit à la marginalisation des croyants.
* voir notre bulletin de la Correspondance unitarienne, n° 22, août 2003
Les cultes unitariens ont su, par des paroles, des chants, des rituels innovés, personnalisés aux personnes présentes, trouver une ferveur émotionnelle et devenir des lieux d’expression de la foi des uns et des autres. Ils se sont éloignés de la matrice protestante anglo-saxonne, encore marquée par la sobriété puritaine ou calviniste, à laquelle s’était ajouté la froideur d’un certain rationalisme. Bref, on se relie aux autres lors de ces cultes, on s’accepte mutuellement, on s’écoute, on s’encourage. Un café et des viennoiseries réunissent les fidèles autour d’une table à la sortie du culte. On redécouvre le sens des fêtes coutumières fussent elles " païennes ". Même si la transcendance d’un Dieu créateur n’est pas explicitement mentionnée, la Vie est magnifiée dans toutes ses manifestations, animaux et plantes inclus, et les préoccupations sont assurément écologistes.
Une théologie unitarienne s’en dégage, au delà du clivage entre croyants et non croyants. Elle se présente de la façon suivante :
1) La croyance au mystère de la Vie. Il y a une dimension spirituelle de la Vie. Si Dieu existe, il est à considérer comme un Dieu Créateur, à l’origine de notre univers, donneur de Vie. Mieux, si on peut penser qu’il est transcendant (en sa qualité de Créateur), il est également et surtout présent (immanent) au sein même de sa Création et dans chacun des êtres vivants (ce que disait déjà le panthéisme). La théologie du panenthéisme propose une telle synthèse.
Allant dans le même sens, mais avec un accent encore plus dynamique, la théologie du Process pense que Dieu est en interrelation constante avec ses créatures ; il n’agit pas directement, mais par nous. Ainsi va l’histoire qui est d’abord humaine mais où Dieu est présent d’une façon ou d’une autre, avec nous dans nos méandres et nos tentatives, comme une force créatrice jaillissante, toujours à l’œuvre, toute interne, ainsi que l’avait pressenti un Teilhard de Chardin.
En tout, on est loin de la fixité du créationnisme ou de la linéarité d’une histoire sainte, ou encore de la naïveté des évolutionnismes idéologiques.
la Théologie, statue de la cathédrale gothique de Laon (France)
2) Cette croyance n’implique pas un culte prédéfini, des credo, l’adhésion à des dogmes, mais laisse à chacun la façon de dire sa foi, ses convictions. Le culte s’ouvre à toutes les formes d’expression et ne se cantonne pas seulement à l’oralité : dessins, danse, musique, présentation d’objets, rituels expressifs, etc., ont leur place. Dans un tel contexte, le langage de révérence appartient à chacun. Il n’y a pas d’interdits ni de formulations codées.
Les expressions pouvant être non seulement diverses mais contrastées, la cohésion est maintenue grâce à la règle du jeu qui veut que chacun s’exprime en son nom personnel, sans engager la communauté et que celle-ci écoute sans être obligée de marquer son acquiescement ou sa désapprobation. Le culte s’est libéralisé.
3) Les croyants peuvent s’y sentir à l’aise s’ils ont effectué un travail critique de leur corpus religieux d’origine. Les rituels proposés sont en quelque sorte déconfessionnalisés et présentés pour leur valeur universelle de partage. Sont-ils pour autant affadis ? aseptisés ? tronqués ? folklorisés ? Non, si on prend soin d’en expliquer le contexte historique et religieux qui les a vu naître et leur signification réelle.
Par exemple, dans un tel contexte, le chrétien peut proposer de rompre le pain et le vin au nom ou en souvenir de Jésus. Celui-ci n’étant pas Dieu, le rituel est alors vécu comme un acte fraternel entre personnes qui estiment le message des Evangiles, chacun pouvant, en ce qui le concerne aller plus loin selon sa propre foi en un Jésus qui aurait été ressuscité (version de la Pentecôte) ou dont l’esprit serait toujours vivant et donc actif (version quaker).
Il va de soi que l’interprétation rédemptrice, certes compréhensible dans le contexte messianique du judaïsme du 1er siècle, n’a pas de valeur universelle. La forme traditionnelle, " ceci est mon corps, ceci est mon sang, livrés pour vous … ", risque d’en rebuter plus d’un. Par contre, le sens du repas de communion est mieux rendu par la Didachée (datée de 60 à 90 après Jésus-Christ) qui évoque les fruits de la Terre et du travail des hommes.
D’autres rituels religieux peuvent tout aussi bien être présentés, à la condition d’être repensés et adaptés à notre monde moderne et de faire sens pour les autres. En cela la force du rituel n’est pas tant dans la théâtralisation d’un geste (amplifiée jusqu’à l’extrême dans la pompe romaine ou orientale, ou encore dans l’ésotérisme) que dans sa vertu de partage entre présents, et donc dans sa valeur de signe universel, même si une explication s’avère nécessaire.
4) La religion unitarienne est un accompagnement spirituel des personnes et des groupes. Il ne s’agit plus de convertir, ni même de garder les fidèles au sein de son Eglise, mais d’aider au cheminement, au progrès des uns et des autres, même si cela doit les conduire à d’autres choix, hors de l’unitarisme. Il n’y a pas de guide spirituel. Il s’ensuit que les sympathisants jouissent de la même considération que les fidèles au sein de nos assemblées cultuelles. La porte des églises est désormais grand ouverte, une éthique relationnelle a remplacé le baptême et l’acte de foi confessionnel.
Ndlr - l’unitarisme contemporain s’est diversifié en s’ouvrant à des non chrétiens : des croyants en provenance d’autres corpus religieux (bouddhistes, juifs, soufis, baha’is, coutumiers et néo-coutumiers, etc.) et à des non-croyants (agnostiques, athées " humanistes ", etc.). La théologie proposée s’adresse donc à des assemblées hétérogènes.
Il n’en est pas de même pour les communautés restées chrétiennes (nos Eglises historiques hungarophones, la King Chapel et d’autres Eglises à Boston, des Eglises en Norvège et en Grande-Bretagne, les associations chrétiennes unitariennes) lesquelles continuent à se référer directement à Dieu et à la personne et à l’enseignement du rabbi Jésus de Nazareth (voir par exemple les statuts de l’AFCU) ; également à la culture biblique étant entendu que la Bible est lue et comprise avec l’aide de l’exégèse historico-critique. Pour les associations chrétiennes unitariennes qui ont émergées en Europe occidentale et en Afrique noire francophone à partir des années 90, le Manifeste d’Avignon (publié en août 2007 et traduit en plusieurs langues) est devenu un texte de référence.
Attention ! L’unitarisme contemporain (qui englobe les chrétiens unitariens) ne doit pas être confondu avec l’unitarisme-universalisme qui n’en est qu’une des composantes, certes importante mais non exclusive.
Pour connaître l’International Council of Unitarians and Universalists (ICUU) qui est un réseau mondial regroupant tous les unitariens de toutes les sensibilités, voir la rubrique " ICUU " sur le site de l’AFCU.
Pour avoir une application concrète de la théologie présentée dans cet article, voir le site de l’Eglise unitarienne francophone (celle-ci concerne en effet les associations chrétiennes unitariennes d’Europe occidentale et d’Afrique noire, mais aussi des associations unitariennes-universalistes basées au Canada),
Pour les statuts de l’AFCU, http://afcu.over-blog.org/categorie-10390876.html
Pour le Manifeste d’Avignon, http://afcu.over-blog.org/categorie-10148421.html