par Jean-Claude Barbier (chrétien unitarien, Bordeaux), article à la Une publié dans la Correspondance unitarienne, n° 94, août 2009, 3 p.
Lorsqu’à la suite des prêches convainquant du Hongrois David Ferencz, les anti-trinitaires de Transylvanie commencèrent à faire Eglise entre eux, en 1568, ils se dénommèrent tout simplement " chrétiens " et parlèrent de leur assemblée " d’un commun accord ". Ce n’est que par la suite que le terme d’unitarien leur fut attribué, à l’initiative d’ailleurs des calvinistes pour qui ce terme était un sobriquet désignant ceux qui n’ont à la bouche que le mot unité.
Historiquement, les unitariens font donc partie des confessions chrétiennes, avec un acte de foi à la clé (une "confession") - Dieu existe et il est Un -, un enseignement – celui de Jésus-Christ – et un catéchisme s’y inspirant, des cultes dominicaux, des sacrements (baptême – y compris celui d’enfants -, communion – dite depuis Lord Supper - , et confirmation), une organisation ecclésiale distincte (avec un évêque et un conseil presbytéral), etc.
Séparés à la fois des luthériens et des calvinistes, la nouvelle confession fut – en Pologne et en Transylvanie – la benjamine des Réformes protestantes du XVIème siècle. A noter qu’il est surprenant que certains historiens fassent encore l’impasse sur ce dernier fleuron car, s’il resta très minoritaire, il n’en continua pas moins son chemin en Angleterre, puis aux Etats-Unis et enfin dans de très nombreux pays du monde entier, anglophones d’abord puis dans d’autres aires linguistiques.
Une Eglise est fondamentalement une rencontre d’hommes et de femmes qui sont d’accord pour se réunir ensemble et pratiquer un culte.
Pendant longtemps, on a cru que cet accord commun reposait sur un socle de croyances communes et la relation à une hiérarchie. Les premiers à avoir ouvert une brèche dans ce consensus confessionnel furent des pasteurs anglais et irlandais qui, au nom de la lecture personnelle de la Bible et de l’honnêteté de la conscience, refusèrent de prêter serment à la confession de foi anglicane, non point par désaccord sur le contenu même de la dite confession, mais par principe de liberté de conscience. Dans la tradition protestante, on ne peut en effet contraindre le pasteur à aborder des sujets sur lesquels il ne souhaite pas s’exprimer : l’objection de conscience y est respectée. Il y eut donc des pasteurs non jurant, "non-subscribing ", mais les Eglises n’en conservèrent pas moins leur credo à l’usage des fidèles.
Aux Etats-Unis d’abord, apparurent des " Eglises du Christ " qui, elles, refusèrent toute dénomination particulière : on s'affirme d’abord chrétien, disciple de Jésus-Christ avant tout. Elles se dirent non-dénominationnelles, se référant directement aux Evangiles et au kérygme de la Pentecôte.
L’unitarisme, confession chrétienne parmi les autres confessions, évolua aux Etats-Unis de la fin du XIXème siècle vers une Eglise de type non seulement progressiste (au niveaux du dogme, de l’exégèse, des engagements sociaux) mais libérale avec acceptation de croyances diverses. Au nom des valeurs humaines prônées par l’Evangile, les assemblées unitariennes ouvrirent leurs portes à des agnostiques, voir même à des non croyants en Dieu (appelés aux Etats-Unis " humanistes "), puis à d’autres croyants : bouddhistes, soufis, baha’is, juifs, etc. Depuis la fusion en 1962 entre les congrégations unitariennes et l’Eglise universaliste d’Amérique, elles se dénomment " unitariennes-universalistes ".
Or ces assemblées, devenues hétérogènes au niveau des croyances, continuent à se maintenir, à fonctionner et font preuve d’une belle vitalité. Quel est donc leur secret ?
Elles n’ont plus Dieu comme référence commune puisque certains se disent agnostiques et athées ! Elles n’ont plus la Bible comme enseignement puisque les chrétiens n’y sont pas entre eux seuls !
Il y a d’abord, pour ces " libéraux " un élargissement du cadre religieux
1) A l’image d’un Dieu qui se révèle chez des prophètes (ce qui donne autant de religions particulières), à celle du Dieu providentiel des théistes, répondant ou non aux prières de ses dévots, se substitue un Dieu créateur de ce Monde, auteur du Big-bang initial, immanent dans sa Création, en même temps " en nous ", nous éclairant de notre intérieur plus que nous guidant, agissant " par nous " nous disent les théologiens du Process. Sans aller jusque là, d’autres évoqueront tout simplement " le mystère de la Vie ", l’accord se faisant de toute façon sur la dimension spirituelle de la vie.
Bref, s’il n’y a plus accord sur le mot de " Dieu ", manifestement trop chargé de sens contradictoires, il y a bel et bien un accord sur une vie basée sur des valeurs humaines, le respect de la Vie (les unitariens sont fondamentalement des écologistes !), le souci de vivre selon une éthique universelle, l’engagement pour un monde sans exclusion ni discrimination et plus fraternel.
2) L’enseignement de Jésus-Christ, celle de la Bible toute entière, demeurent bien entendu une référence dans la plupart des congrégations unitariennes-universalistes américaines, mais ces apports juif et chrétien ne sont plus exclusifs de ceux des autres religions et sagesses de l’Humanité. Ils sont placés sur le même plan que les autres et c’est la contribution de chacun au progrès universel de l’humanité qui est désormais mise en avant.
Mais cette ouverture ne peut se faire que s’il y a une pratique libérale de la religion.
Cette pratique libérale s’est affirmée dès le début de l’unitarisme avec l’affirmation protestante de la liberté de conscience et, chose nouvelle pour l’époque, le refus des contraintes ecclésiales et temporelles en matière de religion (en 1568 la diète de Turda, en Transylvanie, interdit de faire violence aux pasteurs si l’on est pas d’accord avec eux et reconnaît tous les cultes existants d’alors – catholique, luthérien, calviniste, anti-trinitaire). Les unitariens ont toujours été opposées aux Inquisitions catholiques et protestantes de leur époque.
Puis cette pratique libérale s’est développée au sein de l’unitarisme au cours des siècles. Au XVIIème siècle les unitariens ont été rejoints dans cette pratique par la Fraternité des Remonstrants (en Hollande), puis par les protestants libéraux européens du XIXème siècle, puis, tout récemment, depuis la fin du XXème siècle, toujours en Europe, par une mouvance catholique contestataire, réformatrice et non dogmatique (réunie en France au sein de la Fédération des réseaux des Parvis, en Belgique au sein de Pour un autre visage de l’Eglise et de la Société - Pavés -, et dans de nombreux pays dans Nous sommes aussi l’Eglise et autres mouvements.
Non seulement cette pratique pousse à respecter les itinéraires religieux et spirituels des autres, à plus de tolérance et d’ouverture, mais aussi elle sait organiser les échanges, à commencer par l’écoute attentive de la foi des autres, par le soucis de se rejoindre sur l’essentiel, parfois au-delà des énoncés et des balbutiements, par l’encouragement mutuel à s’exprimer.
L’aboutissement en est un partage de la foi des uns et des autres dans une ambiance conviviale et fraternelle. Alors que les confessions réunissent les fidèles par des affirmations communautaires (credo, chants dogmatiques, sermons, etc.), la pratique libérale, quant à elle, mise sur l’expression individuelle conforme à la liberté de pensée et son accueil au sein de l’assemblée. C’est en quelque sorte une fraternité par le bas et non plus par le haut.
Nombre de communautés unitariennes restent organisées sur une base confessionnelle.
C’est le cas de nos Eglises historiques en Transylvanie et en Hongrie, des Eglises plus récentes dans d’autres pays européens qui affirment leur continuité avec ces premières Eglises (Norvège, Suède, Espagne, à Berlin en Allemagne, à Boston aux Etats-Unis avec la King’s Chapel, au Nigeria en Afrique), et des assemblées chrétiennes unitariennes qui se sont formées à partir des années 1990 en Grande-Bretagne, France, Italie et en Afrique noire francophone (Burundi, Congo Brazzaville, Congo RDC, Togo). Pour la France et régions francophones voisines, l’Assemblée fraternelle des chrétiens unitariens (AFCU), fondée en février 1997 sous le patronage du protestant libéral Théodore Monod, affirme dans ses statuts la croyance en Dieu et l’enseignement de Jésus.
Mais l’EUfr est une Eglise post-confessionnelle
Au niveau de notre aire linguistique, celle de la Francophonie, nous avons fondé, en juin 2008, l’Eglise unitarienne francophone (EUfr), qui est un espace de service pour tous les unitariens parlant le français et qui se trouvent cultuellement isolés, et aussi pour être un espace de partage pour les communautés francophones existantes. Les Canadiens francophones étant de sensibilité unitarienne-universaliste, c’est un modèle post-confessionnel qui a été adopté de facto, même si, pour l’instant, la grande majorité des unitariens francophones sont des chrétiens.
L’EUfr est donc ouverte à tous et pas seulement aux seuls chrétiens. Nous l’avons déjà présentée, dans notre bulletin n° 90, avril 2009, comme offrant à tous " son espace de prière ". Elle repose sur la liberté de conscience, l’affirmation de la foi des uns et des autres, et la mise en partage. C’est ce qu’elle propose précisément lors de ses cultes mensuels (le premier dimanche de chaque mois) : culte de maison à l’initiative de chacun et selon sa propre tradition religieuse ou spirituelle, puis partage au niveau du site de l’Eglise. Deux cultes ont déjà eu lieu, les dimanches 7 juin et 5 juillet ; le prochain aura lieu le dimanche 2 août.
Certains chrétiens restent attachés à la formule confessionnelle – mais au sein d’une assemblée de ce type n’est-ce pas désormais illusoire de penser qu’il y a cohésion au niveau des croyances ? Combien de paroisses, catholiques ou protestantes se trouvent écartelées entre des courants violemment contradictoires (dogmatique ou libéral, conservateur ou progressiste, etc.).
D’autres chrétiens, au contraire, sans rien renier de la richesse de leur voie, préfèreront cet élargissement à toutes les sagesses du monde entier pour plus de fraternité et d’universel. Certains d’ailleurs trouvent déjà cet élargissement au sein d’une loge maçonnique.
En tout cas, dans le modèle post-confessionnel, rien n’empêche le chrétien de dire sa foi en Dieu et de lui adresser ses louanges, de confier son chérissement pour Jésus et de partager le pain et le vin au nom de ce même Jésus, de faire part de son intérêt pour la lecture de la Bible, de ses méditations à partir de cette riche tradition. Il sera écouté par tous les autres, comme lui aussi écoutera les autres et recevra leur message.
Une communauté d’expression, d’écoute et d’encouragement mutuelle, d’inter conviction, de partage de la richesse de nos traditions ; finalement une communauté de culte bien à l’image de nos sociétés modernes ; et puis et surtout un espace où l’on retrouve le parler vrai, sans langue de bois, sans les formules toutes faites, sans l’hypocrisie des mots, sans bondieuseries, sans prosélytisme …et où la parole n’est plus monopolisée par des dignitaires et des clercs.
dessin collectif d'enfants de l'Eglise unitarienne de Montréal avec les symboles de leurs convictions religieuses ou philosophiques mis dans un calice. Photo J.-C. Barbier, mai 2008.
Une communauté où chacun est invité à approfondir sa propre foi, sa propre identité, afin de mieux la partager aux autres. A terme, l’enjeu est celui d’un monde qui peut s’universaliser (et non s’uniformiser) en gardant toute la richesse de sa diversité culturelle, religieuse et spirituelle.
C’est Gandhi qui invitait chaque croyant à l’excellence, chacun dans sa propre voie, à être de bons hindouistes, de bons musulmans, de bons chrétiens, etc. Nous grimpons la même montagne, chacun selon son propre chemin, disait aussi Théodore Monod. En cela, l’inter religieux doit être une dynamique de partage et non pas un simple face à face fait de monologues juxtaposés.
Oui, la pratique libérale va jusqu’au partage réciproque de nos fois individuelles.